January 17, 2011

L'avènement du marché de l'art québécois

S’il connut un développement sans précédent au cours des dernières années, le marché de l’art québécois n’est, pour autant, pas un produit de la contemporanéité : bref retour sur une histoire plusieurs fois centenaire.

L’existence d’un marché de l’art postule d’abord l’existence d’un goût pour l’art: or, ce dernier ne peut se développer qu’une fois les conditions élémentaires de vie réunies. Il en fut ainsi à la fin du XVIIe siècle sous l’intendance de Jean Talon (1665-1672, voir gravure de Théophile Hamel reproduite ci-dessous) qui dota la Colonie de Neuve-France d’une économie dynamique rendant possible son autosubsistance.

Une production artistique locale est ensuite requise: celle-ci se développa au cours du XVIIIe siècle. Les missionnaires européens, exploitant la vague de curiosité qui agitait la métropole, publièrent des recueils de gravures aux noms teintés d’exotisme. L’engouement fut rapide et plusieurs peintres français vinrent séjourner en Neuve France, tel frère Luc, qui décorèrent de nombreuses églises. D’artistes, ils se firent maîtres et enseignèrent leur art aux autochtones. C’est ainsi qu’apparurent les premières œuvres picturales à proprement parler québécoises, des images pieuses destinées au culte (ex-votos) ou à l’évangélisation, suivies de près par de véritables tableaux, fruits du travail d’artistes à part entière tels que Jean Guyon et Pierre Le Ber.

L’avènement d’une classe moyenne est nécessaire: ce fut chose faite après une période creuse due à la Guerre de Sept Ans (1756-1763). La peinture québécoise connut alors un essor considérable. Une vague de portraits soutenue par la nouvelle bourgeoisie traversa la période allant de 1780 à 1840 pour culminer aux alentours de 1850. Le paysage se développa comme un genre à part entière. Certains artistes, tel François Beaucourt, prirent alors conscience des limites de leur métier et entreprirent des voyages d’études de par l’Europe afin de se perfectionner. La production de tableaux se démultiplia.

Cristallisant toutes ces évolutions, le XIXe siècle marque un tournant dans l'histoire du marché de l’art québécois: la Révolution française fit fuir de nombreux ecclésiastiques qui dynamisèrent le marché de l’art par les nombreuses commandes qu’ils passèrent afin de décorer les églises construites en proportion de l’augmentation démographique.

L’un d’eux (mais non le moindre), l’Abbé Philippe Desjardins (1753-1833), marqua les esprits par la mise à l’encan de deux cents œuvres au printemps 1817 à Québec (voir photographie ci-contre: la «Présentation de Jésus au Temple» par Louis de Boullogne Le Jeune). Celles-ci avaient été acquises en 1803 auprès d’un banquier parisien ruiné et provenaient des églises parisiennes pillées lors de la Révolution.

L’engouement pour ses tableaux européens de « grand style » fut immédiat et considérable, fussent ils de piètre qualité comme le laissent à penser les commentaires de Monseigneur Joseph-Octave Plessis: «Peu de morceaux qui ne soient au dessus du commun, à 40, à 50, à 60 louis, ils ne portent pas à terre ». Les archives mentionnent des Champaigne, Vouet, Le Brun et autre Coypel. La vente fut un succès et ceux qui n’avaient pu se procurer un tableau se rabattirent sur des copies qui proliférèrent. Plusieurs commerçants – parmi lesquels Balzaretti, Fabre et Raffenstein - prirent alors conscience des possibilités offertes par le marché de l’art et se consacrèrent à l’importation de tableaux: le marché de l’art québécois était né.

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